dimanche, décembre 31, 2006

DIVINES MODULATIONS



«Nuit, tes étoiles sont témoins de mes tourments, ô nuit ! Elles ont entendu mes plaintes et mes larmes, ô nuit ! Que de fois je t'ai confié mes insomnies. Que de fois je t'ai suppliée et que de souffrances j'ai endurées !»


Au risque de larguer une fois encore en pleine mer notre lectorat occidental on vous entretiendra ce soir d'un phénomène à côté duquel le culte voué au King Presley n'est que poussière : le phénomène Oum Kalsoum, vieille passion du Casablancasylum dont les couloirs froids s'embrasent parfois sous les modulations hypnotisantes de la diva du Caire.

1967, Oum Kalsoum chante à l'Olympia, à Paris. C'est unique. Le patron, Bruno Coquatrix, incrédule et peu informé, l'a programmée dans un creux, un lundi. C'est l'émeute. Ils sont venus de partout, de Boulogne-Billancourt, de Belgique, d'Allemagne, de Suède en charters, en bus, en voiures. C'est complet. Un richissime prince arabe braque la caissière, muni à la fois d'une arme et d'une grosse liasse de dollars. Alerté, Coquatrix offre au fan enflammé un tabouret dans une allée. Et Oum chante, pour l'unité arabe, pour l'Egypte fraîchement mise à mal par la guerre de six jours contre Israël. Dans la salle, il y a des juifs, raconte alors Coquatrix. Ennuyé par le militantisme de la dame aux lunettes noires, il s'enquiert de l'état psycho-politique d'un de ses amis, qui lui répond : « Ce n'est rien, c'est Oum, c'est tout. »



Née vers 1904 à Tmaïe al-Zahayira, un village situé dans le delta du Nil, Kalsoum, fille d'un imam de mosquée, a naturellement débuté par des chants religieux. Son patronyme circule vite dans la région et tout le monde parle d'un androgyne (son père tenait à ce qu'elle s'habille en garçon bédouin) à cordes vocales uniques. En visite à Tmaïe, Cheikh Abu al-'Alla, spécialiste de la déclamation du maqam, l'entend, tombe en extase et lui suggère, ainsi qu'à sa famille de s'installer au Caire, marchepied indispensable pour accéder à une notoriété à la hauteur de son talent.


Chanteuse de l'émotion pure, lunettes noires et foulard en main, « Sett », « la Dame », la « Mère des Arabes » déclenchait cris d'amour, déchirements profonds et exaltations épidermiques pendant ses concerts, qu'elle donna à partir de 1934 tous les premiers jeudis du mois au Caire, alors, à ce moment précis, toutes les rues du monde arabe, de Beyrouth à Tanger se vident, certaines réunions ministérielles sont même écourtées pour écouter le dernier récitale de la diva.
Partout, de Rabat à Bagdad, on collait l'oreille au transistor. Les plus mélomanes gravaient le concert sur des galettes de cire pendant la diffusion. Dans le centre-ville du Caire, le petit peuple de la rue et les groupes d'intellectuels se pressaient sans distinction de classe dans les cafés.

Portée par l'essor de la radio (elle inaugura La Voix du Caire en 1939), puis du transistor, sa voix s'insinuera jusqu'au plus profond des campagnes et des bidonvilles. Oum Kalsoum porte-drapeau d'un style identifié comme proche-oriental, avec ses ouds (les luths) et ses derboukas mariés aux contrebasses et aux violons, avec des arrangements à l'occidentale, mais en volutes et en vers répétés en boucle, mais jamais à l'identique, comme dans ce morceau où elle répète "demandez aux verres de veins s'ils n'ont jamais touché ses lèvres" jusqu'à l'ivresse.


Car Kalsoum c'est la musique du buveur vous dira l'homme de la rue, et nombreuses ont été les fois où ici au Maroc onn se l'es entendu dire :"Ah oui c'est la musique des fumeurs, une musique pour drogués alcooliques solitaires". La musique qu'on peut encore entendre dans les bars enfummées du vieux centre ville de Casablanca, musique de perdition, musique des grandes mélancolies, musique éther bleu velouté.


« Rends-moi ma liberté, dénoue mes mains/Je t'ai tout donné et n'ai rien gardé pour moi/Mes poings saignent encore à cause des liens que tu m'as fait porter/Pourquoi les garderais-je encore alors que tu m'as tout enlevé ?/Pourquoi resterais-je captive alors que le monde s'ouvre à moi ? » : ces vers d' Al Atlal donnent la mesure de la complexité et de la richesse de cette femme très politique (l'a jamais vu porté le voile?) : émancipée dans une société en mutation.

Elle sera l'amie du roi Fouad, puis de son successeur, en 1936, le roi Farouk. Elle sera la servante du panarabisme de Gamal Abdel Nasser après la révolution de 1952. Elle chantera la nationalisation du canal de Suez, la réforme agraire, le barrage d'Assouan, la gloire de la révolution irakienne de 1958 et celle d'Anouar El-Sadate et continuera de fasciner le foules arabes (on voyait à ses concerts, des hommes se jeter littéralement à ses pieds ou rentrer dans des transes insoupçonnées).

Son décès le 21 Janvier 1973 provoque de tels mouvements de foule que les autorités décident de reporter les obsèques de deux jours afin de permettre aux endeuillés du monde entier de rejoindre le Caire. Et, le jour de l'enterrement, des millions d'égyptiens en pleurs arrachent le cercueil du cortège officiel pour le porter pendant plus de trois heures à travers les rues du Caire, marquant des arrêts dans les lieux qu'elle avait particulièrement aimé.

Et nous on vous laisse avec ...


3 commentaires:

Anonyme a dit…

comment ne pas réagir à ce post ??
oum kelthoum pour l'apprécier faut être doté d'une certaine maturité émotionnelle..
gosses et ados arabes, on avait une sainte horreur de la sett, d'apparence austère, les gestes presque convulsifs, des refreins interminable, bien kon comprenait ce kelle disait..on la trouvait assomante, kan on prononçait son nom, on faisait beuurkkk.., des années plus tard..inévitablement sa magie opère..et nous prend aux tripes..à l'instar de nos parents..
bien sûr kelle était émancipée, elle chantait le vin, la passion et faisait dans le Ghazal(vanter les charmes physiques d'une personne).
d'un caractère indépendant, kan elle a épousé son medecin dont elle était amoureuse, elle a néanmoins inclut une clause lui donnant le pouvoir de divorcer kan elle veut.

Mourai Radouane a dit…

je confirme ce qu'a dit imaaane concernant le rejet de ce genre musical pendant l'enfance et une partie de l'adolescence. et je suis toujours étonné de notre brusque reconvertion ( notre: parce que tous les amis du derb se sont mis à entendre la Diva pratiquement à la même période).

ce que j'aime chez Oum Kalthoum c'est cette diversité de mélodies et des rythmes qui caractérise ses chansons, on à l'impression d'enttendre plusieurs morceaux alors qu'il s'agit d'un seul, et portant sur une seule thématique.

Anonyme a dit…

Elle est géniale!