jeudi, août 31, 2006



LA RUMEUR

Najib mahfouf est mort hier, paix à son âme. Et je me revois encore dans mon 45 m2 parisien, absorbé dans la lecture du Passage des Miracles, titubant à ses côtés dans les impasses du Caire moderne, ou philosophant au dessus d'un narguilé. Najib Mafouz n'est pas mort, il trone encore, dieu vivant de ma mythologie, avec Lawrence d'Arabie, Rimbaud, Leiris, Khair Eddine, et les autres, mon panthéon bonhème.
C'est en lisant Mafouz que j'appris que chaque jour, au Caire, une nouvelle blague est mise en circulation, le but étant de se l'être fait raconté avant la fin de journée. Au Maroc ce qui circule beaucoup c'est la rumeur et ce soir je me connecte tout spécialement pour vous livrer la dernière en date. On aurait arrêté dans l'après midi, trois femmes de pilotes de la RAM qui projetaient d'éliminer trois ministres du gouvernement marocain (ne me demandez pas lesquels je n'ai pas retenu les noms). L'opération miniutieusement ficelée s'annonçait imminente et la police se félicite de l'arrestation. Fin du communiqué.
La rumeur de la rue, qu'on ne connait plus vraiment en Europe découle de ce besoin qu'on les hommes, depuis leur enfance à se raconter des histoires, et quand l'histoire est bonne elle circule, gagne en volume et se fait rumeur. L'histoire, vous diraient les adèptes de la psychanayse viennoise, découle souvent d'une sorte de vieux fantasme fondamental et collectif. Fantasme assez répétitif d'ailleurs, le meurtre du père, le guillotinage du symbole de l'autorité. Et curieusement, je note qu'effectivement, à me rappeler des dernières rumeurs mise en circulation cette année, toutes touchent au pouvoir, à des coups d'état avortés, ou des manières déguisées de tourner ce pouvoir en ridicule, le mettre à genou.
La rumeur procéderait-elle d'une frustration sourde? La rumeur comme catharsis, la rumeur purificatrice, ça va, je peux aller me coucher tranquille demain tout le monde aura le sourire.

mercredi, août 30, 2006

LA MATRICE.




Prenez un européen, trempez le dans le Maroc. Il flotte! Génial. Laissez le barbotter un an deux ans quatre ans et ressortait-le de son bouillon, installez-le dans un canapé confortable, et interrogez-le. Qu'a-t-il appris, que sait-il vraiment du caractère, de l'âme marocaine? Une brousaille d'observations, de souvenirs, d'instants fuyants, mais rien de bien clair.
Perplexe, il vous regarde moitié rêveur, normal : il a vécu dans la Matrice.
La Matrice est pouvoir et contrôle, la matrice est orwelienne, invisible et affecte tout le corpus social. Parlons ce soir des relations humaines car j'ai là un exemple parfait et loin d'être marginal. Mon propriètaire, MRE toujours gai comme un pinçon, bavard et rieur est arrivé à Casablanca ce matin, et il est venu seul. C'est une première puisqu'il m'avait toujours habitué à le voir en binôme avec sa femme, berbère toujours gaie, bavarde comme une pie et rieuse. Un couple sympathique, pour ne pas dire parfois comique mais en définitve très attachant. Il a donc laissé sa femme chez eux dans le sud du Maroc en dessous d'Agadir, territoire berbère à 80% voir plus où, lorsque vous commencez un peu à discuter un peu avec un épicier ou un chauffeur de taxi vous vous entendez dire "ah oui nous, les arabes, on les aiment pas", ici commence le grand sud, le pays des saharaouia ces femmes marocaines descendantes des tribus tchadiennes, noires de peaux et circulant dans leurs voilages bariolés de couleurs pastelles, un délices de mauves et rose souris.
Mais revenons à Mr H. Nous sortons mangez sur la route de Tamaris et avant de descendre vers le jardin du restaurant je demande à au gardien de parking si on peut acheter des cigarettes et voici mon happy-proprio qui me lance "mais j'en ai moi! j'ai un paquet!" En deux heures de repas il en fume 6 ou 7 et j'ai beau remuer mes méninges je ne me rappelle pas l'avoir déjà vu allumer une cigarette. La raison, tout simple : Mr H. ne fume pas devant sa femme. Après 35 ans de mariage trois enfants deux maisons et tout ce vécu partagé, Mr H. cache à sa femme une manie qui semblerait, aux yeux d'un européen, parfaitement anodine et en regardant le sexagénaire griller ses blondes je me revois ado, planqué derrière le batiment d'EMT du lycée, goutânt aux premières joies de la fumée et de l'interdit.
Le concept de "chouma " (traduisez "la honte") est une forme de bienséance, de code de bonne conduite qui modèle, contraint et oriente le comportement des marocains, et l'un de ces codes qui d'ailleurs naissent d'on ne sait où (les cigarettes existaient-elles au temps de Moise, de Jésus ou de Mahommet?) prescrit de fumer devant ses proches. J'avais déjà constaté la chose chez pas mal d'amis marocains (trentenaires liberés) qui lorsque je les voyais avec leurs parents me prenaient à part pour me chuchotter "ne me prosose pas de cigarettes devant mes parents, ils savent pas que je fume!" et je ne m'en étais pas étonné, comprenant naturellement le respect des ainés et tout le toutim mais Mr H...
Manque de transparence, codification ultra-rigide des comportements? Les occidentaux vivent dans des societés post-religieuse mais si l'on en revenait à un radicalisme comme celui dans lequel vécu Copernic par exemple, et que le clergé se refaisait monstre tyrannique, nous serions nous aussi soumis à cette abondance de codifications existentielles, alimentaires, comportementales, rituelles et autres. Mais de Tanger à Tan-Tan, les codes s'exercent encore, et chacun doit savoir qu'il lui faut toujours obéir, se conformer, faire comme il faut, comme la religion nous y invite.
Ces codes, ces prescriptions et ces interdits, ces lois, cette logique du licite-illicite, forme une matrice dans laquelle l'homme évolue, la matrice est partout elle enveloppe tout le pays jusqu'en Iran, et la matrice fausse la vision de l'européen par sa complexité et des dédales de couloirs trop étroits. Elle génère toute sorte de mirage. Elle est mirage.
La nuit est déjà bien avancée, le royaume à réduit sa fureur et les lumières s'éteignent, la matrice, elle, est en mode ronronnant. Moment idéal pour s'adonner au plaisir de quelques interdits. J'ai à faire.

vendredi, août 25, 2006




DESIGN SONORE

"La méchanceté est l'esprit de la critique, et la critique est à l'origine du progrès et des lumières de la civilisation."
Thomas Mann

Mon moral flirtant toujours avec les sous-sols c'est avec tous les regrets de circonstances que je vous annonce qu'aujourd'hui encore ce blog versera dans le polically-incorrect et la critique tous azimuts. La grande faiblesse du monde arabe n'est-elle pas justement cette farouche incapacité à l'auto-critique. Prenez mon associé marocain, en retard à 80% de ses rendez-vous, aucune structure dans son travail, aucun respect de la parole donnée, mais c'est jamais sa faute, évidemment, y'a toujours quelquechose entre lui et la racine du problème, c'est sûr, comment pourrait-il en être autrement? Comment, lui, pourrait commettre et encore mieux admettre la moindre erreur. C'est tout simplement inenvisageable à ses yeux.
Mais je ne suis pas là pour vous entretenir de mes frasques professionnelles... pourtant y'aurait matière...

Non je voulais juste aborder un point qui me touche personnellement car j'ai toujours été très sensible à mon environnement sonore et plus particulièrement à la musique. Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi, en 2006, à Casablanca, nous sommes toujours contraint à vivre avec Hotel California comme BO de nos après-midi? Pourquoi les cafés, que l'on fréquente pourtant encore plus assidument que les mosquées, n'ont-ils toujours pas investi dans leur design sonore. Et je ne parle même pas des boites ou bars lounge qui distillent encore des remix du buddha bar et autres antiquités électroniques.
Sans tomber dans un élitisme à la Ivan Smagghe (ancien chroniqueur de Radio Nova - Paris) ni un le minimalisme berlinois qui ressusciterait Kraftwerk, on pourrait imaginer un Casablanca happy et musicalement bariolé.
Faudrait-il voir encore une fois la Théorie du Baroque à l'oeuvre à Casa? (voir article La vierge et la putain) Les marocains, ne souhaiteraient alors entendre qu'un son européen surjoué, théâtralisé et amplifié comme un tube de Benni Benassi. Là encore on ne rechercherait pas l'excellence ou la distinction mais plutôt le simulacre, le trompe l'oeil, la majoration, la vague copie.

jeudi, août 24, 2006

UNE AIGUILLE DANS UNE BOTTE DE KIF



Si je faisais dans la gestion de la chose publique je demanderais à avoir mon propre ministère : Le Ministère Pour l'Elimination du Samsar au Maroc. J'aurais alors carte blanche pour édifier tout un ensemble de bûchers sur lesquels je regarderais se tortiller chacun de ces tristes personnages. L'informel a souvent du bon ici mais pour certains secteurs on ne renâclerait pas à gagner en structure. Il en va ainsi du domaine de l'immobilier, véritable étale à chiffons, monde vacillant comme un bateau ivre où le hasard est élevé au rang de grand consul.
Exit internet. Rien sur ce média pour trouver un truc à louer à Casa. Enfin je grossis le trait, facheuse habitude. Non je reconnais qu'on y trouve deux trois site d'agences immobilières peu scrupuleuses, qui, la bouche en coeur, vous propose des apparts de 100m2 à 8000 dh le mois. Certes, on leur reconnaitra une volonté de soigner le design de leur site mais par pitié passez un peu moins de temps sur le graphisme et un peu plus pour la recherche de "produits" originaux et bien négociés à proposer à votre clientèle.
Retour sur le terrain donc. Passé la journée à crapahuter quadriller et épuiser chacunes des rues de Casa à la recherche d'un étage de villa. Rien, des clous. Il y a encore 3 ans les samsars de quartiers avaient leur forme d'efficacité, on les faisait grimper à nos côtés et on s'en allait joyeusement visiter 5 à 10 villas dans l'après-midi, aujourd'hui on les retrouvent tout fiers de vous avoir montré UNE villa, vous abandonnant noyé sous l'écume de leurs promesses de vous rappeller très prochainement.
Alors quoi la demande aurait dépassé l'offre, non mais qui veut nous faire avaler ça, là ici, au milieu de ce chantier à ciel ouvert qu'est Casa. Non ça colle pas.
Autre hypothèse : l'apparition d'une nouvelle immigration.
On a beaucoup parlé cette année de l'arrivée massive des chinois, le Péril Jaune à nos portes et toute la purée de l'imagination de la rue : des chinois par milliers, des éléphants d'Inde, le SRAS, les réseaux de la prostitution asiatique, l'empire du milieu et ses vices, mais la rue avait encore une fois survitaminé l'information. Ils ne seraient en fin de compte pas beaucoup plus que quelques 500 au Maroc. Reste les autres, majoritairement on imagine des français lassés du sarko-circus, de leur studio à 900 euros mois, et de la tronche de noyé de leur concierge et autres humains satellitaires. Prenez un site comme celui de La Maison des Fromages à l'Etranger, chaque semaine on peut y lire quantité de promesses de départ, d'interrogations quant à la vie au Maroc, jeunes dîplomés à tendances suicidaires et retraités à la recherche de vagues ronflantes tenant tout de même le haut du pavé. Et ce n'est qu'un site parmi tant d'autres.
Bref, tout celà ne change rien à notre problème, les petites villas à louer se rarifient (parfois l'impression de parler comme un vieux colon) et personne ne semble vouloir profiter de cette niche à occuper, mais... j'y pense... je pourrais me faire samsar, ça marcherait peut-être...

lundi, août 21, 2006

LA VIERGE ET LA PUTAIN.





On ne peut pas vraiment dire que le Maroc ait absorbé ou intégré le style de vie occidental. Il serait plus juste, plutôt que de parler d’absorption ou d’intégration, d’avancer tout de suite le mot : accentuation. Car on est ici confronté à une involontaire théâtralisation de la l’occident contemporain. Et Casablanca dans sa modernité, m’apparaît parfois comme la version baroque du monde occidental. Le baroque entendu ici comme style de l’excès et du burlesque aboutissant à un spectacle exalté et éblouissant. Le baroque et son goût pour l’ornemental et la mise en scène.
Le Mâarif est la perle rococo du Maroc. Sur le trottoirs, de petites paysannes berbères à peine descendues de leurs montagnes paradent dans des vêtements de boite de nuit, les yeux dissimulés derrières des lunettes imitations Christian Dior, on les prendrait presque pour des V.I.P. Mais pas longtemps.
Si le comportement était musique, la frime en serait le mode baroque. Et Casablanca la capitale nécessaire.
Postulat premier : le monde est un immense théâtre, un théâtre à ciel ouvert.
Postulat second : le théâtre est un monde d’apparences et de costumes trompeurs, un monde d’illusions
Conclusion : avec sa parfaite dramatisation et son souci de l’accentuation, la société casablancaise est le modèle le plus abouti du théâtre, même si son spectacle tourne parfois au cirque de foire.

CASABLANCA



Casablanca, le 20 Août 2006.












Grand angle sur l'environnement. Ville : Casablanca. Température : élevée mais stable et supportable pour un humain domestiqué dans les grandes plaines européennes. Taux d'humidité dans l'air : 70%. Ambiance générale : étrange. Précision : « Maghreb » du point de vue de l’étymologie (ma : négation, et ghreb : étrange) : où rien n’est étrange, où rien ne devrait nous surprendre. Retour sur l’ambiance générale : pesante la nuit dans les quartiers populaires où nous aimons aller boire de grands jus d’avocats. Taux de flics dans les rues : en hausse, légère. Certainement suite aux barbus et leur stock d'explosifs que la police à embarqués la semaine précédente. Cintexte religieux : arrivée imminente du Chabaan, mois précédent le ramadan, théoriquement sans alcool, pour préparer et nettoyer le corps avant le grand jeûne.
Fin du grand angle et zoom sur l'individu. Et Julia Kristeva pour aider à définir la substance première de l’étranger : « Libre d’attache avec les siens, l’étranger se sent complètement libre mais la contrepartie de cet absolu de liberté s’appelle solitude » « Bonheur de l’arrachement, de la course, l’étranger se fortifie de cet intervalle qui le décolle des autres comme de lui-même ».
Baromètre des humeurs : perturbé comme lors d’un survol des Bermudes. Mais d’une façon générale, tendant plutôt vers l’euphorie. Un homme faut que ça s’occupe sinon ça pourrit vite. Et là il semblerait bien que la rédaction de Casablancasylum, le blog d'un expat en perdition, soit la solution rêvée à l'ennui que je traine dans mes poches.
Attendez vous donc... non je devrais pas dire ça, pour l'instant j'ai quoi? Un lecteur peut-être? Un type paumé au milieu d'une forêt blanche et frissonnante, au fin fond du Quebec, rêvant de chants de muezzin et de soleils trompeurs.... Attends toi donc mon cher ami Quebecois à vivre de drôle de moments car mes humeurs fluctuent régulièrement alternant docilement entre le massacre et le rire.
Alors tu veux savoir quoi? A quoi ressemble ce pays qui t'es si lointain?
Communiquer clairement l’expérience vécue et te raconter le Maroc en quelques lignes relèverait du miracle, car le fleuve qui me porte m’éblouit chaque jour de nouvelles berges insoupçonnées, et il faudrait tout pouvoir livrer d’un seul tenant, vies, formes et couleurs croisées. Tout balancer en vrac comme dans une rage d’action-painter, marins déguenillés, guérisseurs saharaouis, nuées de cigognes, cités lacustres du grand sud, villages du bout du monde, aloès en fleurs, vallées de pommiers d’amandiers de pêchers éclaboussant les plaines souhouls de leurs vibrances blanches ou pastelles, ruelles poisseuses latrines à ciel ouvert, boulevards crasseux et bordés de palmiers hiératiques, cérémonies sacrées et polyphonies soufis, vieillards fumeurs de kif ou crachant leur dernière dent, champs de jeune blé sauvage où flottent des nappes d’anémones et de pensées, marées écumantes du grand océan et tous ses paysages en falaises, les fugues de ses huiles de cobalt.Faudrait parler des horizons, désormais inappréciables et initiateurs, du caractère des hommes et des femmes, de la vigueur et de l’endurance, de la fierté et de l’honneur, du don et par dessus tout… des incessants sourires.
Tu sais quoi, on va s'en tenir à ça pour ce soir, mais ne t'inquiète pas, tu n'as encore rien lu, et tu n'as encore pas idée de la vie qu'on peut mener ici, des hauteurs sur lesquels on s'élève et des gouffres fumant dans lequels on s'asphixie. Ca viendra...