mardi, novembre 07, 2006
IN CHARLES WE TRUST
Nous, les sursinges-dactylos de Casablancasylum, quand on ferme les yeux et qu'on médite sur l'époque nos oreilles résonnent de morceaux de Mingus. Folie fureur d'un monde en musique, c'est le pays de la vache bariolée, chaos allant cahin-caha ça et là entre-coupé de temps morts, lignes de fuite vers nos abîmes.
Et ouais, merde on est chez nous quand même ici, et les masses rythmées aux beats platement binaires du rap et autres merdasseries populaires peuvent aller brûler dans l'enfer du monothéisme qui leur plaira, ce soir c'est chronique jazz.
L'histoire de Charles Mingus c'est avant tout l'histoire d'un névrosé de première, qui plutôt que de s'enfermer dans ses propres délires préféra vite les traduire en blanches triple croches et double points. L'histoire d'un homme lunaire, difficile à vivre, imprévisible, mais conscient de ses faiblesses et de ses excès qu'il décrira dans Beneath the Under Dog, platement traduit en un "Moins qu'un chien". Le livre, introduit comme une conversation avec son psychanalyste (qui préfacera aussi un de ses albums), raconte la vie de Mingus de son plus jeune âge à son succès, en insistant sur le racisme qui imprègne toute la société américaine (il es né en 1922...), sur la musique bien sûr, et sur le sexe (vu l'interlocuteur supposé, ça se conçoit).
Très brutal, cynique, parfois hilarant et fascinant, il finit dans une débauche de mauvais goût que beaucoup considèrent apocryphe. En clair : il est mytho. Mais à quels moments du livre? dur à dire.
Mais le monde de Mingus n'est pas que démence et bousculade névrotique, on y sent aussi vibrer les extases du gospel de son enfance, l'âpreté du blues et l'irascibilité de l'éternel marginal. Art des émotions basiques, art de leur mise en contradiction dans le trop-bruit, la densité, art du paroxysme… puis soudain, au milieu de cette sauvagerie contrôlée : la forme, claire, éblouissante de silence.
Même folie dans les titres de ses morceaux :
All the Things You Could Be by Now If Sigmund Freud's Wife Was Your Mother
Oh Lord, Don't Let Them Drop That Atomic Bomb on Me
Hora Decubitus
Meditation on a Pair of Wire Cutters
Et si le jazz a toujours été l’expression d’un certain désespoir, de revendication sociale, la musique de Charlie Mingus est la première à s’avouer aussi ouvertement engagée : « Les choses ont bien changé depuis la naissance de cette musique de prostituée appelée jazz. Ma musique parle au peuple noir et essaie de prendre sa défense contre le fric, les esclavagistes, les exploiteurs capitalistes ». Témoin ce Fables of Faubus, musique en forme de pamphlet contre le sénateur Faubus qui s’opposait au programme de déségrégation raciale pour les écoles de Little Rock (Alabama) : un thème et des rythmes primitifs servent de toile de fond aux saillies des musiciens et à des bruits que l’on qualifie pudiquement de « divers ». La violence règne en maîtresse dans l’orchestre qu’il dirige depuis 1957 et où se succèdent entre autres Eric Dolphy (flûte et alto), Booker Ervin (ténor), Jaki Byard (piano) et Dannie Richmond (batterie). Alternance de chaos collectifs et de répétitions lancinantes, opposition de rythmes complexes, goût immodéré des harmonies ouvertes et dissonantes, tension et amertume, tels sont les traits qui dépeignent le mieux le cœur de sa musique.
Sur scène Mingus transpire sur le bois de son instrument, grand corps épousant la contrebasse, parfois il s'emporte, en extase ou en colère comme à Philadelphie où l'on rapporte qu'il aurait tenté d'écraser les mains de son pianiste en refermant le couvercle du clavier, puis aurait donné un coup de poing dans la bouche du tromboniste Jimmy Knepper. Lors d'un autre incident, le saxophoniste Jackie McLean donna un coup de couteau à Mingus après que celui-ci l'eut frappé, pensant qu'il allait le tuer. Mingus' life...
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