mercredi, août 30, 2006

LA MATRICE.




Prenez un européen, trempez le dans le Maroc. Il flotte! Génial. Laissez le barbotter un an deux ans quatre ans et ressortait-le de son bouillon, installez-le dans un canapé confortable, et interrogez-le. Qu'a-t-il appris, que sait-il vraiment du caractère, de l'âme marocaine? Une brousaille d'observations, de souvenirs, d'instants fuyants, mais rien de bien clair.
Perplexe, il vous regarde moitié rêveur, normal : il a vécu dans la Matrice.
La Matrice est pouvoir et contrôle, la matrice est orwelienne, invisible et affecte tout le corpus social. Parlons ce soir des relations humaines car j'ai là un exemple parfait et loin d'être marginal. Mon propriètaire, MRE toujours gai comme un pinçon, bavard et rieur est arrivé à Casablanca ce matin, et il est venu seul. C'est une première puisqu'il m'avait toujours habitué à le voir en binôme avec sa femme, berbère toujours gaie, bavarde comme une pie et rieuse. Un couple sympathique, pour ne pas dire parfois comique mais en définitve très attachant. Il a donc laissé sa femme chez eux dans le sud du Maroc en dessous d'Agadir, territoire berbère à 80% voir plus où, lorsque vous commencez un peu à discuter un peu avec un épicier ou un chauffeur de taxi vous vous entendez dire "ah oui nous, les arabes, on les aiment pas", ici commence le grand sud, le pays des saharaouia ces femmes marocaines descendantes des tribus tchadiennes, noires de peaux et circulant dans leurs voilages bariolés de couleurs pastelles, un délices de mauves et rose souris.
Mais revenons à Mr H. Nous sortons mangez sur la route de Tamaris et avant de descendre vers le jardin du restaurant je demande à au gardien de parking si on peut acheter des cigarettes et voici mon happy-proprio qui me lance "mais j'en ai moi! j'ai un paquet!" En deux heures de repas il en fume 6 ou 7 et j'ai beau remuer mes méninges je ne me rappelle pas l'avoir déjà vu allumer une cigarette. La raison, tout simple : Mr H. ne fume pas devant sa femme. Après 35 ans de mariage trois enfants deux maisons et tout ce vécu partagé, Mr H. cache à sa femme une manie qui semblerait, aux yeux d'un européen, parfaitement anodine et en regardant le sexagénaire griller ses blondes je me revois ado, planqué derrière le batiment d'EMT du lycée, goutânt aux premières joies de la fumée et de l'interdit.
Le concept de "chouma " (traduisez "la honte") est une forme de bienséance, de code de bonne conduite qui modèle, contraint et oriente le comportement des marocains, et l'un de ces codes qui d'ailleurs naissent d'on ne sait où (les cigarettes existaient-elles au temps de Moise, de Jésus ou de Mahommet?) prescrit de fumer devant ses proches. J'avais déjà constaté la chose chez pas mal d'amis marocains (trentenaires liberés) qui lorsque je les voyais avec leurs parents me prenaient à part pour me chuchotter "ne me prosose pas de cigarettes devant mes parents, ils savent pas que je fume!" et je ne m'en étais pas étonné, comprenant naturellement le respect des ainés et tout le toutim mais Mr H...
Manque de transparence, codification ultra-rigide des comportements? Les occidentaux vivent dans des societés post-religieuse mais si l'on en revenait à un radicalisme comme celui dans lequel vécu Copernic par exemple, et que le clergé se refaisait monstre tyrannique, nous serions nous aussi soumis à cette abondance de codifications existentielles, alimentaires, comportementales, rituelles et autres. Mais de Tanger à Tan-Tan, les codes s'exercent encore, et chacun doit savoir qu'il lui faut toujours obéir, se conformer, faire comme il faut, comme la religion nous y invite.
Ces codes, ces prescriptions et ces interdits, ces lois, cette logique du licite-illicite, forme une matrice dans laquelle l'homme évolue, la matrice est partout elle enveloppe tout le pays jusqu'en Iran, et la matrice fausse la vision de l'européen par sa complexité et des dédales de couloirs trop étroits. Elle génère toute sorte de mirage. Elle est mirage.
La nuit est déjà bien avancée, le royaume à réduit sa fureur et les lumières s'éteignent, la matrice, elle, est en mode ronronnant. Moment idéal pour s'adonner au plaisir de quelques interdits. J'ai à faire.

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