mardi, juillet 17, 2007

DERRIERE L'HERMINE


Le portrait de Cécilia Gallerani, dite « La dame à l’hermine », caractérise magnifiquement le style de Léonard. On peut l’admirer aujourd’hui au musée Czartoryski de Cracovie. Acquise en France à l’époque de la révolution, ou plus probablement en Italie peu de temps après, elle se retrouva au début du XIXe siècle au château de Pulany. Rapportée à Paris en 1830, elle demeura inconnue jusqu’en 1870, date à laquelle elle retourna en Pologne. C’est alors seulement que les experts se penchèrent sur son cas et commencèrent à voir en elle une œuvre léonardienne. L’identification fut confirmée beaucoup plus tard par la découverte d’un dessin d’étude de Léonard conservé à la bibliothèque de Milan qui ressemblait au visage de la jeune femme. Mais qui était donc le modèle s’il ne s’agissait pas, comme on le pensait au XIXe siècle, d’une belle de la Cour de France ?
Le costume, avec le décolleté carré, les manches à lacets, s’affirme clairement milanais. La belle lombarde serait en fait la jeune maîtresse de Ludovic Le More, Cecilia Gallerani. Née en 1473 d’un père ambassadeur mort quand elle avait sept ans et d’une mère de bonne famille, elle n’était pas extrêmement riche mais fut bien éduquée et, selon les témoignages, brillait par son intelligence. On pense que Le More s’amouracha d’elle alors qu’elle n’avait encore que quatorze ans. Le Duc venait d’intervenir en faveur du frère de la jeune fille qui avait tué quelqu’un en duel. En 1490, bien qu’un mariage politique ait été prévu entre Ludovic et Béatrice d’Este, la fille du Duc de Ferrare, le maître de Milan adorait tant sa jeune compagne qu’il vivait avec elle au château Sforzesco se moquant éperdument du scandale. La belle tomba bientôt enceinte. Le mariage avec Béatrice d’Este fut pourtant conclu en 1491 et donna lieu à des fêtes magnifiques, ce qui n’empêcha pas le More de continuer à voir celle dont il était épris, au grand ressentiment de l’épouse légitime. Cette dernière demanda donc à son mari de chasser sa concurrente de la cour, et Cecilia mit au monde en ville, entourée de poètes qui l’adoraient, son fils Cesare Sforza. C’est probablement quelques mois après l’accouchement que Léonard réalisa le tableau pour que son amant puisse l’admirer en son absence et nourrir son imagination érotique. Le portrait est mis au service de l’analyse psychologique. L’effet de lumière qui le construit donne l’impression qu’une porte vient de s’ouvrir dans la pièce sur un personnage attendu et aimé. Le jeu subtil de l’ombre et de la lumière, noter l’ombre portée des perles du collier ou les ombres de la main, crée un singulier effet de réel. On devine presque sous les doigts de la jeune femme le cœur palpitant du petit animal, effrayé par l’intrusion. La douceur de la caresse, la sérénité du visage qui esquisse un sourire sont autant de promesses de bonheur à l’homme amoureux qui vient d’entrer. Mais l’œuvre renvoie aussi à une subtile symbolique. En effet, Léonard écrit dans ses notes : « l’hermine, en raison de sa tempérance…se laissera plutôt prendre par les chasseurs que de se réfugier dans un terrier boueux, afin de ne pas entacher sa pureté ». Pureté, tempérance, virginité, sont en effet les vertus traditionnelles associées à l’animal dans l’Italie de la Renaissance. La chasteté déclarée du modèle ne fait bien entendu qu’érotiser plus encore le tableau dans l’esprit du commanditaire. L’hermine renvoyait par ailleurs encore à d’autres jeux intellectuels. En grec, en effet, galé (première syllabe de Gallérani) signifie belette, un jeu de mot apprécié par les contemporains humanistes.

La dame au petit robot, ça sonne tout de suite moins bien

D’autre part, Ludovic le More avait reçu de Ferrante d’Aragon, Roi de Naples, le prestigieux ordre de l’hermine. En portant dans ses bras l’animal aux aguets aux muscles puissants et aux griffes prêtes à déchiqueter ses ennemis, Cecilia porte donc le symbole de la puissance aristocratique de son amant. Ludovic est non seulement le personnage hors-champ vers lequel se tournent les beaux yeux verts de la concubine, mais aussi l’animal noble et fier au regard courroucé qui ne se laissera jamais prendre par ses nombreux ennemis. Malheureusement pour lui, cette prédiction s’avèrera erronée et après la conquête du Milanais par les Français en 1499, le More finit sa vie enfermé au donjon de Loches, et sombra dans la folie. Cecilia, elle, mariée en 1492 avec le Comte Lodovic Bergamini de Crémone, continua de tenir salon à Milan. Elle protégea alors des hommes de lettre comme ce Bandello aux Novelle duquel Shakespeare emprunta diverses intrigues (dont celle du Marchand de Venise ou celle de Roméo et Juliette). Son portrait fut envié par les plus belles dames d’Italie, notamment par Isabelle d’Este qui pria qu’on lui envoie le tableau afin de l’étudier pour pouvoir reproduire sa perfection. Léonard, ne finit jamais le portrait d’Isabelle qui lui inspira sans doute moins de sympathie, il faut le dire, que la douce et vive Gallerani, la belle Lombarde.

1 commentaire:

Leguepard a dit…

Je me disais bien que je ratais quelque chose en n'ayant pas suivi des cours d'histoire de l'art....